Juillet 2015 : de nouvelles menaces pèsent sur « 60 Millions de consommateurs »


Communiqué des représentants élus du personnel de l’INC


Paris, le 23 juillet 2015

LA DIRECTRICE DE L’INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION LIMOGÉE POUR AVOIR TROP BIEN FAIT SON TRAVAIL ?


C’est l’été, l’époque des coups fourrés.

Fabienne Chol, directrice de l’Institut national de la consommation (INC), établissement public éditant le magazine 60 Millions de consommateurs, va être limogée.

Son tort ? D’avoir voulu conserver 60 Millions dans le giron de l’INC alors qu’un projet du contrat d’objectif du gouvernement prévoyait de l’éjecter ; pire encore, d’avoir voulu – et réussi ! – la relance des ventes par abonnements pour pérenniser le journal, privé de campagnes de prospection de nouveaux abonnés depuis des années (voir l’historique du conflit ci-dessous).

La précédente secrétaire d’État à la consommation, Carole Delga, avait déjà montré sa désapprobation en récusant le budget 2015 adopté par le conseil d’administration de l’INC en début d’année. Un fait sans précédent, qui avait mis l’INC dans l’impossibilité de payer ses prestataires et ses salariés courant janvier.

Convaincue que l’INC s’en sortirait grâce à 60 Millions, Fabienne Chol a cependant maintenu les investissements, en lançant la construction d’un nouveau site Internet pour le journal, et en poursuivant les nécessaires campagnes d’abonnements. Cet entêtement à faire vivre l’Institut qu’elle dirige lui vaut probablement son limogeage aujourd’hui.

Cette éviction obère à nouveau l’avenir de l’INC et de ses 70 salariés.
C’est pourquoi nous avons décidé d’adresser une lettre à celui qui nomme et révoque nos directeurs, à savoir le président de la République lui-même.

Les représentants du personnel de l’INC au comité d’entreprise et au conseil d’administration



60 Millions de consommateurs, un magazine qui dérange :
petite histoire d’un conflit persistant


En mars 2009, 60 Millions de consommateurs publie une « liste noire des prix qui flambent ». Son enquête déclenche une réunion de crise, organisée à Matignon par le premier ministre François Fillon avant même que le magazine ne soit en kiosque. Le succès commercial de ce numéro et de ceux qui suivront, ses répercussions médiatiques fortes décideront le gouvernement de l’époque à mettre « 60 » au pas, d’autant qu’il s’agit d’un organe édité par un établissement public. D’où une campagne de déstabilisation du journal en 2010, avec la décision d’arrêter les campagnes d’abonnement – outils essentiels dans le modèle économique d’un magazine.

Mais ça ne suffit pas : le secrétaire d’État à la consommation Hervé Novelli décide, sous couvert d’une réforme du mouvement consumériste, de démanteler l’INC et de vendre 60 Millions à un groupe privé ! Pour ce faire, la composition du conseil d’administration (CA) de l’Institut est revue afin de retirer la majorité aux associations de consommateurs.

Francis Amand, haut fonctionnaire, est propulsé président du CA, missionné par Bercy pour procéder à la vente du journal. Avec Éric Briat, directeur de l’INC à l’époque, il commande une étude marketing et les conseils d’un célèbre cabinet d’avocat. Leur coût total s’élève à près de 500 000 €, facturés au journal, sans résolution ni même débat au sein du conseil d’administration ! Et ces études, dont les prévisions se sont avérées hautement fantaisistes, préconisent comme par hasard la vente du titre, déclaré non viable au sein de l’INC. À l’époque, les caisses sont pleines, du fait des bonnes ventes du journal depuis trois ans. Mais en l’absence de campagnes d’abonnement, le nombre de lecteurs baisse mécaniquement…

Face au tollé suscité par ces méthodes et ces desseins, les salariés de l’Institut et les associations de consommateurs se dressent. Une pétition est lancée qui recueille près de 20.000 signatures. De nombreux parlementaires expriment leur soutien au journal. Cette mobilisation fait reculer le successeur d’Hervé Novelli : le ministre de la consommation Frédéric Lefebvre.

En 2012, la directrice générale de la Répression des fraudes (DGCCRF, tutelle administrative et commissaire du gouvernement), qui a toujours défendu le démantèlement de l’INC devant les ministres successifs, est contrainte par le ministre de la consommation Benoît Hamon de négocier avec l’INC un contrat d’objectifs et de performances (COP), que l’Institut réclame et dont il est injustement privé depuis 2009.

Entre-temps, le directeur de l’INC Éric Briat s’en est allé. L’administration prévoit la nomination d’un « liquidateur », mais a la surprise de voir arriver une directrice nommée par Nicolas Sarkozy en mai 2012. Durant trois ans, Fabienne Chol va parvenir à maintenir les résultats de l’établissement en renouant avec les investissements (nouvelle formule du mensuel, refonte des sites web…). Malgré un désengagement financier très important de l’État qui verse, en fin d’année, une subvention (destinée au soutien technique des associations de consommateurs) amputée de 20 %. Et au prix de réductions drastiques des coûts fixes (déménagement des locaux, non-remplacement des salariés partants, etc.).

Les négociations pour le COP traîneront deux ans, et pour cause : dans la première version proposée par l’État, nulle trace de 60 Millions dans les activités de l’INC ! Le journal a disparu… Nouveau tollé, nouvelle mobilisation des salariés qui perturbent le lancement des soldes d’été 2014 par la nouvelle secrétaire d’État à la consommation, Carole Delga.

Cette dernière se signalera également par une décision sans précédent : celle de récuser le budget de l’INC, pourtant adopté par le conseil d’administration fin 2014. Ce qui mettra brièvement l’établissement dans l’impossibilité de payer ses prestataires et ses salariés début 2015. L’administration n’autorisera pas l’INC à acheter le papier nécessaire à imprimer le magazine en janvier ! Il faudra réunir en urgence le CA pour voter un nouveau budget et débloquer la situation.

Aujourd’hui, l’incertitude et l’inquiétude grandissent. 60 Millions ne peut toujours pas emprunter d’argent, ni placer ses économies. On lui interdit d’engager un plan pluriannuel de campagnes d’abonnement, on l’empêche même de bénéficier des aides directes à la presse. Autant d’outils de gestion pourtant nécessaires au développement de tous les magazines. Et encore plus importants pour un journal dont l’indépendance vis-à-vis des marques impose une absence totale de publicité.

Mais « le canard est toujours vivant », et ne vit que de ses ventes. Grâce à Fabienne Chol, aux salariés de l’Institut, mais aussi à la fidélité des lecteurs, à l’aspect souvent « dérangeant » des enquêtes, études et essais de l’INC, régulièrement repris dans les médias, ainsi qu’au succès en kiosque de hors-séries renouvelés en profondeur.

Attaqué depuis plusieurs années par sa propre tutelle, l’INC ne pourra pas résister bien longtemps à la nomination d’un directeur liquidateur. C’est cette perspective que nous refuserons à tout prix.



Posté le 23 juillet 2015
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